LE LOUKOUM A LA PISTACHE
Je vous parle d’un temps lointain,
un temps où la machine n’existe pas encore,
un temps où l’homme prend le temps de prendre tout son
temps.
A cette époque-là, en Orient, il y avait un homme qui
était Grand Vizir : le Roi suivait tous ses conseils.
Les autres vizirs étaient verts de jalousie : ils
n’en pouvaient plus de ce Grand Vizir tout puissant.
Alors, semaine après semaine, les vizirs ont commencé à
distiller leur complot, mot après mot, mensonge après mensonge.
Tels des rats, ils rongent l’arbre de la confiance du
Roi.
Un jour, le Grand Vizir, comme à son habitude se rend
au bain public, au hammam.
Il entre dans l’eau, se savonne.
Et vous savez la grosse bague qu’il porte au doigt, ce
cadeau du roi lui-même, un énorme anneau en or surmonté d’une grosse pierre
précieuse, et bien, elle lui glisse de la main et tombe dans l’eau. Mais au
lieu de couler au fond du bain, elle reste à la surface.
Voyant sa bague flotter, le Grand Vizir prend le temps
d’observer cet étrange phénomène et dans un éclair de compréhension, il attrape
son bijou, sort vite de l’eau,
court, court, court et se rend chez lui vite, vite,
vite.
Arrivé à sa maison, le Grand vizir appelle ses gens:
- « clap clap clap, Prenez toutes mes affaires, dépêchez-vous, formez une
grande caravane et allez-vous réfugier chez mon cousin, le Roi voisin »
Ensuite, il va voir sa femme:
-« O ma douce, ô ma
bien Aimée, ô ma colombe, rose parmi les jasmins, nous devons nous séparer un temps, allez-vous cacher chez
mon cousin et ne revenez que sur mon ordre ».
Puis, ils versèrent les larmes de la séparation.
Resté seul dans sa maison vide, le Grand vizir a pour seule compagnie un gros buffet trop
lourd à déménager et un fervent serviteur trop fatigué pour voyager.
Il ne se passe pas 8 jours, qu’on frappe à la porte.
Ce sont les officiers de la Garde Royale, venus le
chercher lui, le Grand Vizir. Le conseiller est malmené tout le long du chemin
et quand on le jette aux pieds du Roi, le souverain déclare :
« -Je t’accuse de haute trahison
-mais mon Roi, je te suis fidèle et t’ai toujours guidé
au mieux. On veut t’abattre en m’abattant.
« -Je ne veux pas de tes explications.
Qu’on le jette en prison, qu’il y croupisse et qu’il y
meure. »
Et voyez-vous, le Grand Vizir a vraiment été humilié,
car il n’a pas été enfermé au premier sous-sol avec les politiques de son rang,
non.
Ni même avec les prisonniers de droit commun, au deuxième
sous-sol, non plus.
Et encore moins au troisième sous-sol avec les fous, Non.
C’est au quatrième sous-sol qu’il a été conduit.
Là où il ne règne que salpêtre et humidité.
Mais ce n’est pas cela le pire.
Ce n’est pas non plus les rats et les cafards le pire.
Le pire, ce n’est pas non plus ce gardien au regard
pervers.
Vous voulez savoir ce qu’est vraiment le pire ?
Le pire c’est que depuis qu’il est entré dans sa
cellule il a un terrible envie de manger un Loukoum à la pistache.
Alors je sais vous allez me dire, c’est idiot, mais
c’est comme ça, et il a beau essayer de l’enlever de sa tête, il ne pense plus
qu’à ça.
Par exemple, le blanc du salpêtre lui fait penser au
sucre glace qui parsème le loukoum à la pistache.
Les crottes de rats délicieusement oblongues ont la
forme des pistaches du loukoum à la pistache.
Les auréoles vertes du pipi de rat ont la couleur du
loukoum à la pistache…
Bref tout lui rappelle le loukoum à la pistache.
Et tous les jours le Grand vizir harcèle son
gardien :
-« Toi qui vas dehors, s’il te plait ramène moi un
loukoum à la pistache. »
Mais Le gardien trop content de tenir un grand du royaume lui répond
inlassablement
« NON ! »
Et chaque jour que dieu fait, toujours la même question
et toujours la même réponse.
Cela aa duré 7 longues années.
Et allez savoir pourquoi, un beau jour, au bout de 7
ans, alors que le gardien amène la soupe quotidienne, il donne également un
loukoum à la pistache.
Quand le grand vizir a vu la pâtisserie tant attendu,
il a pris le temps de réfléchir et il
s’est dit
« Dans la vie, il y a deux écoles, il y a ceux qui
commencent par le meilleur et ceux qui gardent le meilleur pour la fin.
Je vais d’abord
calmer mon estomac avec mon rata des
prisons et je finirais par mon délicieux loukoum : son goût va m’éclater
en bouche et j’en garderais la saveur jusqu’au lendemain. »
Et à chaque bouchée de rata, le grand vizir regarde
amoureusement son loukoum.
A la dernière cuillérée, un vilain rat tout poilu qui
passait par là se jette sur le loukoum à la pistache, et vous savez ce que
c’est un loukoum, c’est mou, donc la patte du rat s’enfonce dedans et voulant
se libérer il commence à pétrir le loukoum….du coup, la bête empoissée fait un
roulé boulé, écrabouillant
définitivement le loukoum à la pistache.
Et dans un mouvement de peur, le rat, il en a même fait pipi dessus…
Alors le grand vizir a pris le temps de jauger la
situation : poils de rat, poussières de rat et pisse de rat : là
c’est sûr, le loukoum à la pistache est devenu immonde, immangeable.
Un éclair de compréhension a illuminé son visage et le
Grand vizir a appelé le gardien :
-« Geôlier, un dernier service va me chercher le
vieillard resté chez moi »
Quand l’ancien est arrivé, son maître lui dit d’avertir
sa Femme et ses gens exilés chez le roi voisin qu’ils peuvent rentrer sans
crainte à la maison.
Il ne s’est pas passé 8 jours que des officiers
viennent chercher le Grand Vizir pour le conduire au Roi.
« -Ecoute je viens d’arrêter les comploteurs, ils
ont avoué qu’ils t’avaient calomnié pour affaiblir mon royaume…et moi qui t’ai
gardé enfermé pendant 7 ans…
Mon ami pour me faire pardonner je propose que nous
unissions nos familles à vie pour que ta descendance soit conseillère de ma
descendance. »
Le Grand Vizir a accepté ce pacte et est vite rentré
chez lui faire une grande fête
Une fête pour la liberté, une fête pour la lumière, une
fête pour l’amour…
Les amis du conseiller ont voulu savoir par quel
miracle le Grand Vizir a su qu’il fallait protéger sa femme, ses gens et ses
biens et également qu’ils pouvaient revenir sans crainte.
« Lorsque ma bague au lieu de couler au fond du
hammam s’est mise à flotter, je me suis dit que plus de chance que ça, ça
n’existe pas, je suis au sommet de ma gloire, je vais donc descendre
maintenant…et quand après 7 années interminables d’attente, mon loukoum à la
pistache tant désiré a été saligoté par un rat, je me suis dit que j’avais
touché le fond et que je ne pouvais que remonter. »
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